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Les berceuses du monde pour faire de beaux rêves

Tous les parents du monde chantent des berceuses à leurs enfants pour les endormir. Que racontent-elles ?

Lorsque la nuit tombe, que la vie dehors semble ralentir, c’est qu’il est temps de dire adieu à aujourd’hui, de fermer les rideaux, chut ! Dors, mon enfant, dors… cela semble si simple.

Mais comme le savent aussi beaucoup d’adultes, que la journée ait été belle, passionnante ou difficile, on a toujours un peu de mal à se dire qu’elle est finie. Et bien souvent, alors même que les jeunes parents tombent eux-mêmes de sommeil, leurs enfants ont du mal à fermer l’œil. Ils ont donc besoin d’aide pour passer cette phase de transition. Les berceuses peuvent alors faire des miracles. Lorsqu’un père ou une mère ne se contente pas de penser ou de dire à son enfant « fais dodo », mais le chante, il est plus facile pour l’enfant de s’abandonner, et de quitter à la fois la journée écoulée, son père et sa mère. 

Depuis plusieurs siècles, tous les enfants du monde sont endormis en chansons. Bon nombre de berceuses parlent de repos et de protection, d’autres encore emmènent l’enfant vers des mondes merveilleux. En voici quelques exemples.

Bissam, bissam baad’ne
Balance-toi, balance-toi, tout-petit

Bissam, bissam baad’ne, 
gryta hængø i jod’ne, 
koka full tå rjumegraut 
åt dæ vesle baad’ne.
Far, han sittø og harpa kødn more, 
ho blæsø saa vakkert hødn, 
syste, ho sittø aa spinnø gull, 
bror, han gaar i skogen,
jaga allø villø dyr.

 

Balance-toi, balance-toi, tout-petit,
La casserole est sur le feu,
Une bouillie de crème aigre
Mijote pour le petit enfant.
Ton papa bat les grains de blé,
Ta maman joue un bel air de cor,
Ta sœur est assise à filer de l’or,
Ton frère est dans la forêt
À chasser les animaux sauvages.

Consignée par écrit au début du XIXe siècle seulement, cette berceuse contient des mots qui ne sont plus en usage dans le norvégien moderne. Les paroles reprennent la perspective d’un observateur extérieur décrivant le quotidien d’une simple famille de paysans. Le père aide à la cuisine pendant que la mère joue de la musique : peut-être une évocation précoce de la conception norvégienne avancée de l’égalité entre père et mère ?

Баюшки-баю, Bayushki-bayu
Fais dodo, mon enfant, fais dodo

Спи, младенец мой прекрасный, Баюшки-баю.
Тихо смотрит месяц ясный В колыбель твою.
Стану сказывать я сказки, Песенку спою,
Ты ж дремли, закрывши глазки, Баюшки-баю.

Сам узнаешь, будет время, Бранное житье,
Смело вденешь ногу в стремя, И возьмешь ружье.
Я седельце боевое Шелком разошью, Спи, дитя мое родное, Баюшки-баю.

Fais dodo, mon enfant, fais dodo (Bayouchki bayou).
La lune se penche silencieuse du haut du ciel sur ton berceau
Je te raconterai des contes, te chanterai de douces chansons,
Ferme les yeux et endors-toi paisiblement,
Fais dodo, mon enfant, fais dodo.

Un jour, toi aussi tu partiras te battre,
Tu prendras ton fusil et quitteras la maison.
Je te confectionnerai un beau tapis de selle en soie colorée,
Fais dodo, mon tout beau, fais dodo, mon enfant, fais dodo

Sofðu unga ástin mín - Dors, mon petit trésor

Sofðu unga ástin mín. Úti regnið grætur.
Mamma geymir gullin þín, gamla leggi og völuskrín.
Við skulum ekki vaka um dimmar nætur.
Það er margt sem myrkrið veit, minn er hugur þungur.
Oft ég svarta sandinn leit, svíða grænan engireit.
Í jöklinum hljóða dauðadjúpar sprungur.

 

Dors, mon petit trésor, dehors la pluie tombe.
Maman berce ton petit lit, déjà aussi vieux que la pierre.
Fais de beaux rêves jusqu’au jour.
L’obscurité règne partout, mes pensées sont lourdes.
Un sable noir comme aux temps anciens nous protège de nos angoisses.
Les fissures des glaciers nous montrent nos limites.

Dans une berceuse islandaise, on s’attend à faire des rencontres avec des créatures merveilleuses. Si c’est effectivement le cas dans certaines chansons, celle-ci est étonnamment l’une des berceuses les plus populaires du pays. Écrite au début du XXe siècle par le dramaturge Jóhann Sigurjónsson pour sa pièce Eyvind de la montagne et sa femme, elle est chantée par le personnage maternel de Halla.

Lala Lala - Dors, dors

Lala lala gole baghe beheshtam, Lala lala to budi sarneveshtam, Bekhab ei moonese rooh-o ravanam, Bekhab ei bolbole shirin sabanam.
Lala …
Bekhab ei djune shirin rahate del, Tsho bolbol naghmesan dar sahate del, Bekhab ei ghoncheie nashkofteie man,
Bekhab ei gohare nasofteie man.
Lala …

 

Dors, petite fleur de mon paradis,
Tu es ma destinée,
Dors, confident de mon âme,
Dors, rossignol au chant si doux.
Lala …
Dors, douceur de ma vie,
Qui enchante mon âme comme le rossignol,
Dors, petit bourgeon encore fermé, Dors, mon diamant brut.
Lala …

Les anciens Perses sont connus pour leur poésie ouvragée, et leurs berceuses comptent parmi les chefs-d’œuvre du genre. Depuis la révolution islamique de 1979, les femmes iraniennes n’ont le droit de chanter en public qu’au sein de chorales. Seule forme de chant autorisée aux femmes solistes, les berceuses s’appuient sur une tradition orale millénaire qui reflète bien souvent la diversité ethnique du pays. Cette chanson est traditionnellement chantée par les mères pour leur fils.

Hine E Hine - Ma fille

E tangi ana koe, hine e hine.
Kua ngenge ana koe, hine e hine.
Kati to pouri ra, noho i te aroha,
te ngakau o te matua, hine e hine.

 

Tu pleures, ma fille.
Tu es fatiguée, ma fille.
Ne sois pas triste, car il y aura toujours
De l’amour pour toi dans le cœur de ton père, ma fille.

Dans le monde des berceuses, il est rare que ce soit le père qui chante pour son enfant, et que la chanson soit destinée à une fille, les fils ayant traditionnellement une place privilégiée. La princesse Te Rangi Pai (1868–1916) aurait écrit cette chanson en guise de consolation. Fille d’une Maorie et d’un Anglais, cette talentueuse cantatrice s’est produite à plusieurs reprises à Londres sur la scène du Royal Albert Hall. En Nouvelle-Zélande, son pays d’origine, « Hine e hine » est aussi connu que l’hymne national.

Duérmete Mi Niño - Endors-toi, mon enfant

Duérmete mi niño, que tengo qué hacer,
lavar los pañales sentarme a coser.
Este niño quiere que lo duerma yo. Duermalo su madre que ella lo encargó.

 

Endors-toi, mon enfant, j’ai beaucoup à faire,
Je dois laver les langes et m’asseoir pour coudre.
Ce petit enfant voudrait que je le berce.
Mais c’est à sa mère de le faire, c’est elle qui l’a mis au monde.

En Amérique du Sud, on trouve des berceuses qui n’étaient pas faites à l’origine pour être chantées par les parents. Elles datent d’une époque où les gens travaillaient dans des plantations et confiaient leurs enfants à des personnes de confiance. Dans cette berceuse venue du Venezuela, qui se chante sur l’air de l’hymne national, la nourrice explique clairement la situation. On trouve des variantes de cette chanson dans plusieurs pays d’Amérique latine.

Une étude américaine le confirme : les berceuses permettent de diminuer la fréquence cardiaque et le rythme de la respiration du nouveau-né. En revanche, les chansons passées sur CD ou sur tout autre support sont beaucoup moins efficaces, tout comme les chansons plus modernes. Avec leur rythme lent, plus lent que la fréquence cardiaque d’un enfant, leurs mélodies répétitives et leurs paroles simples, les berceuses traditionnelles sont celles qui favorisent le plus l’endormissement. Un effet que l’on constate d’ailleurs aussi sur les parents qui chantent.